mardi 16 juillet 2024
Jean Chouzenoux

Jean Chouzenoux

Jean Chouzenoux a travaillé 35 ans à la Société des alcools du Québec, y a occupé différents postes de gestion aux ventes, aux communications et à la commercialisation.
 
Membre de nombreuses confréries bachiques et gastronomiques et animateur de tournées viticoles dans le vignoble européen. Juré dans les concours internationaux de dégustations, fut chroniqueur sur les vins à la radio et collabore ponctuellement au magazine Prestige de Québec.
 
Installé à  Nice depuis 2010, où il continue d'entretenir sa passion pour le vin.
mardi, 04 juin 2019 13:10

Du vin et des émotions!

Le vin est un produit de partage! Comme c’est cliché. Mais que voulez-vous, parfois ce sont ces phrases tout droit sorties des livres des années 60 où les descriptions sur le vin avaient des tournures folkloriques, voire ésotériques, qui vous viennent à l’esprit quand le moment de grâce opère. En fait, quand l’homme avec son histoire transcende le digne breuvage qu’il nous tend et nous commente avec force passion… on se délecte du nectar et des paroles du conteur. Tous ceux qui ont eu le privilège de pénétrer dans l’antre de vignerons québécois ou européens ont connu ces moments coup de cœur où au-delà du cru qui leur est offert, c’est la truculence, la passion ou l’émotion de leur hôte qui les a fait vibrer.

Il y a quelques semaines j’étais à Lausanne pour le Mondial du Chasselas, cépage porte-étendard de la Suisse romande, invité pour l’occasion de déguster ce qu’il se fait de mieux en la matière chez les Helvètes mais aussi en Allemagne, en Alsace et dans le Nouveau-Monde.

L’opportunité aussi de parcourir le vignoble vaudois, l’un des plus du monde, construit en terrasses qui plongent directement vers le lac Léman. Et de pousser un peu plus loin dans le Canton de Neufchâtel, au bord du lac homonyme et au pied du Jura.

Et c’est là, plus précisément au Château d’Auvernier que j’ai rencontré Thierry Grosjean, viticulteur (encaveur), historien, philosophe, politicien et père de famille. Il y a 14 générations que l’on fait du vin à Auvernier, propriété d’une soixante d’hectares où l’on produit toute la palette des vins : blanc, rosé, rouge, sec, doux, boisé ou pas, filtré ou pas. Un arrêt au Domaine et c’est parti pour un marathon de dégustation.

vins ThierryGrosjeanLe très sympathique Thierry Grosjean, propriétaire du Château D'Auvernier

Mais comme je le disais en introduction, c’est le Maître des lieux qui tient lieu de monument dans ce temple du vin. Non pas qu’il porte ombrage aux gens qui l’entourent, encore moins au fruit de leur labeur, mais plutôt à l’art qu’il possède de tous les projeter dans la lumière. Dans la magnifique salle de dégustation Thierry Grosjean, nous commente les vins blancs le nez plongé dans un verre de chardonnay mais argumente aussi sur le développement et les conflits qui ont jalonné l’histoire de sa région; avec panache il s’enorgueillit de ses origines espagnoles ou nous parle avec un certain regret de son incursion dans le monde de la politique. L’évolution de la propriété au fil des siècles, il en frémit d’émotions quand il nous la livre, un verre de rosé Œil de perdrix à la main. Dans la pièce ou nous dînons et qui tient lieu de musée familial Isabelle son épouse, cuisinière et coordonnatrice hors-pair, nous accueille chaleureusement et sur la longue table trônent trois magnums de pinot noir. Quand Isabelle lui donne le Top, Thierry se lève solennellement, pousse la chaise, arpente la salle et de sa voix de stentor nous résume l’histoire familiale, immenses tableaux des ancêtres accrochés aux cimaises de la salle à manger, pour étayer ses dires. Pièce totalement « dans son jus », comme disent les européens pour illustrer le fait que rien n’a été touché ni même repeint depuis 1745, date de l’ajout de la dernière annexe de cette immense demeure, que dis-je de ce Château! Moment venu des accolades de fin de soirée, Thierry Grosjean y va d’un dernier effet de toge en nous commentant son somptueux pinot gris vendanges tardives, à l’étiquette dont les contours sont volontairement empruntés au Grand Cru, Roi du Sauternais.

Et c’en est fait d’un autre moment de convivialité inoubliable vécu à l’ombre des barriques et à classer dans le grand livre des souvenirs viti-vinicoles.

Note : Les vins suisses ne sont pas légion à la SAQ, en fait très peu de vins débouchent sur le marché de l’exportation, mais osez… vous serez conquis.

Jean Chouzenoux

Ce début d’avril a été marqué par deux concours internationaux assez singuliers, tenus dans le sud de la France. D’abord, les Olivalies 2019, dans la région d’Aix-en-Provence, et le Mondial du Rosé, à Cannes, où même les marches du Palais des Festival avaient revêtu le tapis rose.

Les Olivalies 2019

C’est adossés à la montagne Ste-Victoire que les quinze de jurés présents ont dégusté 100 huiles d’olives soumises à leurs papilles. Ces « huiles » (experts dégustateurs) avaient été recrutées par M. Cyril Payon, président de l’Union des œnologues de France. Les huiles, liquides cette fois, provenaient de 13 pays et étaient  regroupées en trois familles, allant du fruité/vert, fruité/mûr à fruité/noir, ont été mirées, humées, goûtées puis notées afin que les plus méritantes se voient attribuer la distinction suprême. Ici, le terroir, la culture, les méthodes de pression et d’élevage jouent un rôle essentiel sur les qualités organoleptiques et gustatives. Certes, il est plus périlleux de tâter de l’huile d’olive que du vin, mais l’exercice est fort révélateur sur les nuances qui distinguent ce noble produit de plus en plus utilisé dans nos cuisines et sur nos tables. Soulignons que la part belle revient à l’Espagne, qui a remporté 5 médailles d’Or sur les 11 décernées par le Jury international. Le Portugal et la France se sont aussi démarqués.

Le Mondial du Rosé

Cette fois, ce sont les vins rosés du monde qui jouaient les Stars sur la Croisette, à Cannes, en ce début de printemps. Oui, il y a un vrai printemps dans le sud de la France, avec des fleurs, du soleil, du temps doux et du monde avec des lunettes de soleil « grosses comme ça » sur les terrasses! Or, on se bouscule pour le « casting »… 1368 rosés issus de 31 pays sont en lice pour la Palme d’Or ou d’Argent. Le Jury, constitué de l’élite de la profession viti-vinicole, s’attable pendant 3 matinées pour passer en revue tous les échantillons. Après le conditionnement de nos vedettes rosées, à savoir la mise en température et le masquage des bouteilles, la noria de serveurs effectue le service dans une atmosphère empreinte d’un mystérieux secret… suspense! Bien sûr, au cours de ces séances d’analyse, tout est passé en revue, à commencer par la robe de ces vins. Rose corail, saumon, pêche, abricot ou cerise? Nez d’agrumes, d’abricot ou de fleur d’oranger? Bouche fruitée, équilibrée, amère et persistante? À 85 point sur 100 ou plus, c’est la Palme d’Or assurée! Au final de cette édition, il en ressort que les vins du sud de la France se démarquent haut la main… normal, me direz-vous, ils sont chez eux!

vins degustation rese 

Jean Chouzenoux

MUNDUS VINI est un concours international de dégustation fondé il y a tout juste 15 ans et qui fait déjà la course dans le groupe de tête, des plus célèbres évènements du genre au monde. Son fondateur, Meininger Verlag, assisté de sa sœur, a monté une organisation sans faille où rigueur, qualité et professionnalisme se conjuguent harmonieusement. Plus de 10 000 produits concourent annuellement, lors de deux séances de dégustation qui se tiennent, l’une en hiver et l’autre, à la fin de l’été.

vins mundus vini presidentMeininger Verlag, président fondateur de MUNDUS VINI, lors de son allocution de clôture de l’édition 2019

L’édition hivernale 2019 a eu lieu du 20 au 25 février dernier et quelque 7300 vins provenant d’une soixantaine de pays étaient proposés aux 260 jurés internationaux, issus du monde de la sommellerie, de l’œnologie ou de la presse gastronomique. C’est à 90 minutes de Francfort, dans le charmant village viticole de Neustadt, que le panel d’experts avait ses quartiers. Les jurés étaient répartis au sein de commissions de 5 ou 6 membres.

Dès 8h30, dans une salle superbement aménagée et au décorum impressionnant, la batterie de jeunes sommeliers verse les premiers vins dans les verres parfaitement alignés. La température des vins est soigneusement contrôlée, les verres étincelants… le match commence dans un silence absolu. Si parfois des murmures s’élèvent, c’est qu’un vin n’a pas laissé insensibles les dégustateurs. Quatre vagues d’une douzaine de vins chacune sont soumises chaque matinée, aux papilles et aux palais affûtés. Chaque juge note ses vins sur 100, la moyenne est établie par le Président du Jury et au bout de la semaine, 30 à 40% des vins dégustés auront remporté une Médaille Grand Or, d’Or ou d’Argent.

vins mundus vini salleLa salle de l’auditorium de Neustadt où se déroule la compétition

La médaille qu’arbore le vin lauréat devient un indicateur de qualité pour le consommateur, mais aussi un élément considéré par la SAQ dans son processus de sélection des produits.

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Émile Peynaud est sans contredit le plus grand œnologue du vingtième siècle. Il a été conseiller technique et consultant auprès de nombreux grands domaines bordelais, certes, comme Margaux, Lafite, Giscours, Mission Haut-Brion, mais pas que… ajoutons Mas de Daumas Gassac dans le Languedoc, Marques de Riscal en Espagne, Antinori ou Masi en Italie, Porto Carras en Grèce, Suntory au Japon, dans l’hémisphère sud, pour Pedro Domecq au Mexique ou encore en Argentine et au Pérou. Bref, il fut le premier véritable « Flying wine maker », comme disent les Français!

Auteur prolifique, il a rédigé de nombreux ouvrages spécialisés, traduits dans plusieurs langues et nombre de fois réédités, qui ont inspiré toute une génération d’œnologues dans le monde. Même ici au Québec, les premiers conseillers en vin de la SAQ connaissaient par cœur ses enseignements prodigués avec moult détails dans la Bible du vin qu’était Le goût du vin. En outre, avec son collègue le professeur Jean Ribereau-Gayon, il aura surtout fait franchir un pas de géant à la vinification moderne, en démystifiant les secrets de la fermentation malolactique et en la développant sur la base de données scientifiques. Par conséquent, c’est depuis que l’on maîtrise cette étape de la vinification que tous les vins produits aujourd’hui parviennent à un meilleur équilibre gustatif et à une capacité d’évolution plus harmonieuse. Le contrôle du taux d’acidité, par la transformation de l’acide malique en acide lactique!

Par ailleurs, c’est sur la fameuse route du vin que parcourent tous les passionnés, qu’il y a 5 ans j’ai rencontré, au sortir du Mondial du Rosé à Cannes, le fils du Gourou Peynaud, avec qui j’ai noué une franche amitié. Passons sur les flacons que Jean-Pierre et moi avons éclusés depuis… mais restons sur un moment singulier que nous avons vécu le mois dernier.

La maison familiale des Peynaud se situe à Talence, en banlieue de Bordeaux. Dernièrement, Jean-Pierre a décidé d’inventorier les archives de feu son paternel, et il m’a demandé de l’accompagner. La tâche est ardue, car le professeur-œnologue-auteur a méticuleusement TOUT conservé de sa carrière, qui s’étale sur plus d’un demi-siècle: notes de discours, conférences, chroniques, manuscrits de ses bouquins, coupures de presse, photos, diplômes et la correspondance accumulée pendant toutes ces années de labeur.

Or, en fouillant dans les multiples classeurs garnis de centaines de dossiers, nous y avons trouvé des articles de journaux rédigés par nos célèbres chroniqueurs en vins québécois. À l’émotion de me retrouver dans la demeure mythique et de m’asseoir au bureau du Maître, s’ajoute la fébrilité que je ressens à tenir entre mes mains des coupures de journaux et d’articles signés en 1984 par Michel Phaneuf, chroniqueur à La Presse, et en 2010 par Jean Aubry, du Devoir. On y a également déniché des fascicules sur le vin, ainsi qu’un échange épistolaire entre le célèbre professeur et Jacques Benoit, de La Presse, datant de l’an 2000. Tous trois dans leurs écrits reconnaissent d’emblée la contribution du professeur Peynaud et que ses avancées aient franchi le cadre des frontières européennes.

jean chouzenoux journalMontage des chroniques de Jean Aubry, Michel Phaneuf et Jacques Benoit

À mon retour à domicile, j’ai pu joindre messieurs Benoit et Aubry et leur envoyer des photos de leurs écrits de jadis. Me reste Michel Phaneuf, de qui je n’ai pas les coordonnées… peut-être lira-t-il ce bulletin!?

En terminant, je me suis laissé dire que la ville de Bordeaux préparait un hommage particulier afin de reconnaître officiellement la contribution exceptionnelle à la science du vin, du professeur Émile Peynaud.

Jean Chouzenoux
Nice
Décembre 2018

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