mercredi 8 mai 2024
Une minuscule affiche indique l’entrée du Domaine Rayas Une minuscule affiche indique l’entrée du Domaine Rayas

Mythique Château Rayas !

Il y a de ces vins quasi inaccessibles qui trônent au sommet de la galaxie. Il y a des antres protégés par des cerbères où l’on ne pénètre que si l’esprit mercantile subordonne à l’esprit passionné. Il y a des cavernes d’Ali Baba qui recèlent de trésors d’où ne s’échappent qu’occasionnellement de sublimes bijoux. Avoir le privilège de franchir le Rubicon, d’être reçu par le gardien du temple, de goûter avec lui l’élixir providentiel et de repartir avec une pépite du fabuleux trésor, relève de l’exploit digne des périlleuses aventures d’Indiana Jones ! Cette opportunité m’a été offerte par l’entremise d’un ami qui a son gîte saisonnier à quelques lieues du prestigieux Château Rayas, en Châteauneuf-du-Pape. Il a eu la courtoisie de recevoir chez lui quelques dignes membres du Club Bachique franco-québécois que j’ai cofondé avec mon ami Tristan-Michel Ghertman,

Au Château Rayas tout relève du mythe ! Le lieu dont on ne peut soupçonner que l’on façonne l’un des plus grand vin de la planète ; le terroir à l’antipode de ce qui caractérise généralement le sol de Châteauneuf-du-Pape ; la cave où règne l’esprit des siècles précédents ; le vin totalement atypique pour cette appellation rhodanienne; le Maître des lieux dont la mystique fait foi de tout.

jean chateau rayasEmmanuel Reynaud, à gauche, guide les amateurs québécois que nous sommes. Ici, Robert Gillet membre du Club Bachique franco-québécois et Richard Grenier invité privilégié.

C’est bien singulier comme endroit !

Emmanuel Reynaud, c’est bien de lui dont on parle, nous a reçus sur son Domaine de 10 hectares et a mené avec bienveillance la visite du propriétaire. Ici, malgré le nom, point de château mais une modeste maison de ferme fait office demeure où le miracle s’accomplit. Assidûment, nous avons bu (d’abord) ses paroles alors que nous déambulions dans le vignoble. « Touchez ce sable » qu’il nous dit, nous révélant du coup (fallait que je le place !) le premier miracle de Rayas, son sol sablonneux versus le sol jonché de gros galets, typique de Châteauneuf-du-Pape. Cela en fait un terroir pauvre dépourvu d’argile et les rendements sont à l’avenant…10 hectolitres à l’hectare (40 hl/h dans les autres grands crus de France). Sur cette terre c’est le grenache qui est roi et maître et on le vendange tardivement car le raisin prend plus de temps à s’épanouir et on le veut justement bien mûr. Passé la porte de la cave seconde surprise, les vieux foudres centenaires, grisâtres de leur état, contrastent étrangement avec les caves hyper étincelantes que l’amateur a l’habitude de visiter. Ici encore M. Reynaud a son explication : « des barriques plus jeunes pourraient donner un goût de bois au vin et en gâcher la pureté ». Justement, voici le moment de la dégustation. Elle a lieu dans le chai, à la pipette, c’est donc le vin dans sa prime jeunesse auquel nous avons droit. J’avoue ici, ma déception momentanée, car ce n’est pas à cette étape que Rayas se révèle dans toute sa splendeur. Nous goûtons à des jus de différentes parcelles, donc avant assemblage et surtout avant l’étape ultime qui fait de Rayas ce qu’il est… son vieillissement en cave ! D’abord quelques mois en barrique, suivi de sept années en bouteilles dans les voûtes de la propriété. Et comme si cela ne suffisait pas, au moment de notre visite, on procédait à des travaux d’agrandissement de la cave pour permettre la conservation des vins pendant dix ans, avant leur relâchement vers l’amateur plus qu’impatient. Avant de nous séparer de notre hôte, nous lui demandons quand même si l’on peut alourdir nos valises de quelques flacons. C’est le cœur en lambeaux qu’il consent à se délester de quelques-uns de ses enfants.

Et alors, c’est vrai que c’est bon ?

Notre petite bande est maintenant de retour chez notre ami Gérard Lafon, à Lirac. Celui à qui nous devons d’avoir été accueillis au Saint des Saints. Son épouse, Claude, a préparé un repas digne de la table des rois et c’est maintenant que tout va se jouer. Gérard, sous les recommandations de Maître Reynaud, a ouvert et mis en carafe la veille, trois vins rouges produits par Domaine Rayas : Domaine des Tours, Château des Tours et bien sur Châteauneuf-du-Pape du Château Rayas 2000. Le moment est solennel et là c’est la grâce ! Tout ce que vous pouvez imaginer de jouissances olfactives et gustatives vous est ainsi livré et même au-delà de toutes les promesses faites en amont. Et ce plaisir a été décuplé quand j’ai repris plus tard chez-moi, du millésime 2000 mais aussi du 2001. La robe laisse d’abord pantois tant elle est pâle, voire orangée… c’est la bourgogne qui semble s’inviter et jouer l’intrus dans notre verre. Le nez ? Mais c’est toute la pièce qui embaume ! Des effluves de fruits mûrs, animales, de cuir, d’épices douces. C’est puissant et fin à la fois et d’une complexité inégalée. La bouche se tapisse de velours dès les premières gouttes portées à nos lèvres. Encore là, tout est magnifié par le raffinement et l’élégance. La puissance et la longueur des saveurs n’ont d’égal que la délicatesse apportée par le long vieillissement en bouteille. Rien n’est altéré par le long passage en carafe, au contraire, tout est sublimé. Respect et recueillement envahissent la salle à dîner.

jean chateau rayas tripletteJolie triplette!

S’en procurer… un exploit!

C’est là que ça se complique. Avec une telle unanimité sur la qualité de ce vin et avec aussi peu que 10 000 cols produits annuellement, se procurer du Château Rayas relève des prouesses de l’orpailleur ! Je vous raconte le parcours que j’ai dû franchir, venu le moment de recommander du précieux liquide il y a quelques mois. Bardé de mon précieux sésame étant mon reçu de l’achat précédent, j’ai d’abord envoyé un courriel pour faire part de mon avidité à me procurer deux bouteilles de Château Rayas et 10 bouteilles de Château des Tours, autre Domaine de la famille qui, à son prix, bat tout ce qui se trouve sur le marché. Au bout de quelques jours, n’obtenant pas de réponse, je prends sur moi de téléphoner au Domaine. Une gentille dame s’enquiert de savoir ce que j’ai acheté précédemment et de ce que j’ai fait de mes trésors. Je lui détaille mes achats et surtout le plaisir que j’ai eu de déguster les vins lors de dîners de notre Club Bachique. « Très bien je vous rappelle dans une quinzaine de jours », me dit-elle… question de vérifier que je n’ai pas fourgué mes précieuses bouteilles sur Internet à la recherche de recéleurs véreux. La quinzaine passée, je reçois le coup de fil espéré et j’entends la voix me dire « Monsieur Reynaud a le grand plaisir de vous céder à la vente une bouteille de Rayas 2004 et 5 bouteilles de Château des Tours. Votre commande vous sera expédiée dans un mois, car en ce moment nous traitons les demandes reçues en novembre ». J’avais fait la mienne en janvier. Aujourd’hui « mon » Rayas 2004 attend bien sagement dans mon cellier le moment propice où mon tire-bouchon lui transpercera le liège. Son prix ? J’ai payé 160€ la bouteille de Château Rayas. Le meilleur rapport qualité/prix qu’il soit pour un vin qui jouit d’une telle aura. Les receleurs véreux dont je parlais plus haut, effet de rareté et de surenchère aidant, revendent parfois leur bouteille près de 1000€ sur le Web. Au Québec, la SAQ réussit à obtenir du Rayas, mais aussi du Fonsalette ou du Pignan, aussi produits par la famille Reynaud. Malheureusement, le peu de quantité allouée fait en sorte que le vin n’est vendu que par l’entremise du Courrier Vinicole.

En terminant, le prix du Rayas 2004 au Québec ? 318$. Je l’ai payé à la propriété 160€, soit 240$. En vente libre dans les magasins en France, oubliez ça. Il faut se rabattre sur les sites en ligne et sur ceux que je viens de consulter, je n’ai rien trouvé à moins de 350€ la bouteille de 2004… 500$ canadiens !

Amitiés québéco-niçoises,

Jean Chouzenoux

À propos de l' auteur

Jean Chouzenoux a travaillé 35 ans à la Société des alcools du Québec, y a occupé différents postes de gestion aux ventes, aux communications et à la commercialisation.
 
Membre de nombreuses confréries bachiques et gastronomiques et animateur de tournées viticoles dans le vignoble européen. Juré dans les concours internationaux de dégustations, fut chroniqueur sur les vins à la radio et collabore ponctuellement au magazine Prestige de Québec.
 
Installé à  Nice depuis 2010, où il continue d'entretenir sa passion pour le vin.